17 janvier 1923-Etienne à Ernest Soubeyran

Courrier relatif aux Fiançailles et Mariage d’Etienne Soubeyran et Hélène Goguel.
Trouvé et retranscrit par Jean-Jacques LEENHARDT dans la maison familiale de Montélimar, rue du Pêcher.

Paris, le 17 janvier 1922 (sans nul doute une erreur liée au changement d’année ; il s’agit bien de l’année 1923)

Mon cher papa,
Voilà 2 ou 3 jours que je pense à t’écrire et je profite de ce soir où je suis seul et tranquille pour le faire. Et tout d’abord, j’ai bien reçu ta lettre d’il y a une huitaine et si je n’y ai pas répondu, c’est que je n’avais rien à y répondre. Nous en reparlerons tout à l’heure.
Si je t’écris aujourd’hui, c’est qu’il y a un fait nouveau qui me parait de quelque importance et dont je crois bon de te prévenir. En quelques mots, c’est que j’ai appris samedi par Madeleine, au cours d’une conversation quelconque que Melle G. devait revenir à Paris chez elle au début du mois prochain. A vrai dire, ce n’était pas tout à fait une nouvelle ; dès mon retour à Paris, il y a 15 jours, je l’appris de Suzanne qui, avec moins de précision, le tenait aussi de Madeleine.

Suzanne était d’ailleurs convaincue que celle-ci le lui avait fait savoir, avec bien d’autres détails et renseignements sur la demoiselle, afin que le tout me soit répété. Je ne commente pas cette présomption, n’ayant fait que peu d’observations par moi-même, sauf celle que chaque fois que j’ai vu Madeleine, elle a amené la conversation, si peu que ce soit et toujours très délicatement, sur elle. Est-ce de l’imagination ? Je ne sais, mais d’autre part, un jour, au cours d’une visite chez Tante Henriette où j’étais seul avec elle, j’ai acquis la quasi-certitude par quelques mots échappés à celle-ci et habilement amenés par moi – rassure-toi, il n’était pas question des G, je sais obtenir savamment mes résultats, quand je le veux- , qu’elle avait quelque intention sur moi. De mon côté, je n’ai laissé, ni chez l’une ni chez l’autre, percer la moindre parcelle de ce que je pense. Néanmoins je te signale ceci, parce que je crains, avec ce retour imprévu de me trouver dans une situation assez embarassante (sic) et c’est le sujet principal de cette lettre.

Je ne veux pas recommencer les discussions déjà faites. Pour l’instant, je pense exactement comme je pensais il y a 3 semaines et il y a 2 mois. Mais je veux attendre avant de définir nettement mon désir, de l’avoir revu (sic), ce qui sera facile, trop facile, même.

Car voilà ce que je crainds (sic) : Si ma nouvelle impression n’est pas celle que je crois, tout sera dit et l’affaire se solutionnera avec la plus grande facilité ; je prétexterai beaucoup de travail et pourrai sans peine me rendre presque invisible. Si mes doutes étaient vrais, tante H. et M. penseront qu’elles se sont trompées et il n’u aura pas de suite.
Mais si mes sentiments précédents et actuels se trouvaient confirmés, je ne serai plus arrêté dans ma décision que par l’unique question de la possibilité de vivre et faire vivre une famille dans des conditions convenables et compatibles avec nos habitudes. Si pénible qu’il me soit d’introduire cette question pécuniaire dans une affaire qui est pour moi toute sentimentale, elle est trop sérieuse, j’y ai réfléchi depuis nos conversations, pour que je ne sois forcé de l’envisager. De sa solution dépendra donc ma décision, selon, je l’espère en outre mes désirs.

Et, en dehors de l’impatience bien légitime, tu le comprendras, que cela me cause, je me demande quelle attitude je pourrai bien prendre. Si elle passe comme me le faisait prévoir Madeleine, un mois environ à Paris, je vais me trouver dans la situation la plus fausse où ce (sic) soit trouvé un jeune homme. La voir, comme je l’ai vue en novembre, équivaudrait presque à une déclaration implicite ; ne pas la voir, d’une part me serait extrêmement dur, d’autre part ne me parait guère possible. Mes prétextes de travail susmentionnés, équivaudraient à un refus, s’il y a quelque idée en train, et au cas contraire – après tout ce ne sont que des hypothèses dont je t’ai parlé, mais ces jeunes filles ne viennent pas si fréquemment à Paris sans motif et si ce n’est pour moi, ce serait pour quelqu’un d’autre – dans ce cas, pour rien au monde, je ne voudrais laisser le champ libre et jouer le rôle du Monsieur arrivant toujours et partant en retard.
Bien entendu, tout cela n’importera que si cette nouvelle confrontation maintient en moi la volonté de poursuivre une idée qui pour l’instant me parait extrêmement tentante.

Toi seul peut (sic) me fixer alors, toujours pour cette malheureuse question budgétaire. Et j’en arrive à ta dernière lettre. Je t’avoue que, sans pouvoir rien affirmer, n’ayant aucun élément de discussion, j’ai cru reconnaitre la mauvaise langue de Tte L. J’ai relevé dans ses propos qques (sic) invraisemblances. D’une part le train de vie, que je connais, ne me parait guère compatible avec des dots très modestes. Charles, à qui j’en avais vaguement parlé, m’a dit que sans rien savoir de précis, il avait toujours entendu parler des G comme très à leur aise.
D’autre part, il ne me semble guère admissible que tante H. qui ne paraissait pas ces derniers temps tellement chaude avec sa belle-sœur, lui ai (sic) rapporté, après avoir dit qu’elle voulait marier ses nièces, qu’elles n’apportaient rien, propos qui ne me parait pas tout indiqué pour se procurer des candidats. Enfin, quel motif avait Tte L. de te parler de cela. Je me suis demandé depuis, avec Suzanne, si elle ne se serait pas douté de quelque chose. Le fait ne serait pas impossible : ma garnison à S. et mon installation d’une quinzaine chez les G., le fait que Francine lui a innocemment mais malencontreusement fait savoir que j’avais eu les jeunes filles ici à mon goûter, pourrait suffire à lui avoir mis la puce à l’oreille. Je ne la crois pas d’ailleurs femme, dans ce cas, à tenter de m’éviter une mauvaise affaire. Alors !!

Tout cela évidemment n’est formé que de présomptions et tu me diras que j’ai peut-être des parti-pris dans la question. C’est possible, mais tu avoueras que cette conversation n’est pas tout à fait naturelle.
En conséquence, rien actuellement ne me permet, pas plus que toi de conclure, et il me semble, qu’étant donné sa prochaine venue à Paris, une conclusion s’impose aussitôt que, d’autre part, mon opinion sera définitivement établie sur elle, comment l’obtenir ? Je n’en sais rien et c’est pourquoi j’ai recours à toi.

J’espère de toi une prompte réponse et je te quitte en t’embrassant très tendrement
Etienne

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