Par Laurence ROCHAS-CHABAUTY
Préface de Lionelsoub
Après celles de la branche ainée, notre cousine Laurence Chabauty nous présente à Dieulefit les maisons de la branche cadette et notamment celles de Louis Soubeyran, son grand-père. Elle en profite pour évoquer quelques anecdotes émouvantes qui nous permettent d’approcher l’intimité de cet homme que la plupart de nos lecteurs ne connaissent que par la somme historique et généalogique, qu’il a publiée en 1933. Mais avant de lui passer la plume, il a paru utile à certains que je puisse clarifier l’articulation entre branches et refixer quelques repères.
Vers 1621, peut-être suite à des troubles religieux à Privas, sa région d’origine, Abraham 1er Soubeyran arrive à Montélimar, s’y installe comme patron-tanneur, et s’y marie en 1633 avec une montilienne. Ses descendants pousuivront quelques temps son activité de tanneur. Son petit-fils Abraham II épouse en 1702 Izabeau Morin, une jeune fille de Dieulefit. Voici ce qu’en dit Louis S. : « leur union, par les rapports qu’elle fera naître, en préparera d’autres : d’abord, celle de leur fille Anne qui, la première, ira habiter le pays de sa mère, puis celle de leur fils aîné ABRAHAM qui, en se mariant, s’y fixera aussi et y fera souche, transportant ainsi définitivement les SOUBEYRAN à Dieulefit. » Et en effet, Abraham III Soubeyran épouse en 1744 Suzanne Lautier, fille d’un tanneur de Dieulefit en affaires avec la tannerie Soubeyran de Montélimar. D’une union qui parait avoir été orageuse, Abraham et Suzanne eurent 4 enfants dont Pierre-Abraham fondateur de la branche dite ainée, et Antoine III, primat de la branche dite cadette. Celle-ci restera implantée à Dieulefit et Louis Soubeyran en est un des éminents représentant.
Quant à la branche ainée, voici ce qu’en résume Laurence Rochas-Chabauty dans un autre texte : » L’« aventure » de la branche aînée présente de l’intérêt en soi, mais sa réussite sociale constitue aussi un contrepoint étonnant et « révélateur » de la crise familiale de la branche cadette. À partir d’une situation initiale favorable, une position avantageuse (celle d’aîné, légataire universel) et une forte personnalité (celle de Pierre Abraham Soubeyran), c’est un parcours sans faute qui lui permet d’intégrer à la fin du XIXe et au début du XXe siècle la HSP parisienne. Dans le même temps, la branche cadette, à partir d’une situation initiale fâcheuse, la position du cadet défavorisé dans l’héritage et une personnalité problématique, celle d’ANTOINE (III) SOUBEYRAN, connaît une crise dont elle mettra un siècle à se remettre. » Nous y reviendrons dans de futurs articles.
Enfin, et pour mémoire, Etienne Soubeyran est né et a vécu à Montélimar jusqu’à son départ pour Paris après la 1ère GM afin de poursuivre ses études à Polytechnique. Mais il est temps de passer la parole à Laurence.
Abordons maintenant au rivage des maisons Soubeyran de la branche cadette, toujours « du point de vue » de Louis Soubeyran. Dans son livre manuscrit sur son père Ovide, Louis Soubeyran a mis une photo de la rue du Bourg où il a indiqué par 2 traits rouges l’emplacement de la cinquième maison à partir de la place Chateauras (…) côté gauche. Cette maison, il n’y a pas vécu mais c’est LA maison de la branche cadette et la maison natale de son père : il la connait bien, y compris l’agencement intérieur, elle a certainement une valeur affective pour lui. C’est sauf erreur le numéro 56 actuel et la comparaison de sa modeste façade avec celle du 59 illustre bien la différence de situation entre l’aîné et le cadet à l’issue de la succession d’Abraham III. Une entrée avec entablement quand même mais une seule autre ouverture au rez-de-chaussée (le magasin actuel), 2 fenêtres et un fénestrou au premier, 2 fenêtres au second et un demi étage avec 2 petites fenêtres.
C’est là que naquit et vécut jusqu’en 1861 (date de son installation à la Malautière) Antoine V « l’original ou le faible » (selon le degré d’indulgence), lui aussi contremaitre chez les Morin. Il occupait avec sa femme Louise Defaysse, le premier étage et ses parents le rez-de-chaussée. Il formait avec sa femme un couple « explosif » qui n’en eut pas moins trois filles mortes en bas âge, puis trois garçons qui naquirent tous dans la maison de la rue du Bourg. Le « bien cher père » de Louis Soubeyran, Ovide en 1851 « dans une chambre au premier étage sur la rue ». Ladite maison resta propriété de l’Oncle Ovide et des Soubeyran de Lyon. En 1932 elle était encore propriété d’Élisabeth Soubeyran. (cousine de Louis Soubeyran ; note Lionelsoub) Je ne sais pas quand les Soubeyran de Lyon l’ont vendue et à qui (… ?).
Je viens de citer la Malautière, mais pour évoquer les maisons de Louis Soubeyran, celles où il a vécu, il me faut d’abord parler de la maison de la Garde de Dieu. En effet Ovide, son père, peut-être instruit par la cohabitation fâcheuse de ses parents et de ses grands-parents rue du Bourg, lorsqu’il se maria ne resta pas à la Malautière. Il s’installa avec Emma Poulin dans une maison qui venait de l’héritage du grand-père d’Emma, un Gougne. (…) Le jeune couple y vécut de 1874 à 1880 et les trois aînés y naquirent « dans une grande chambre sur la rue au deuxième étage ». C’est donc la maison natale de Louis Soubeyran, mais il ne devait guère en avoir de souvenir puisqu’il en partit à trois ans.
Le départ de la Garde de Dieu pour s’installer à la Malautière devait résulter d’une conjonction : des parents vieillissants à entourer, une maison qui devenait trop petite (bientôt un quatrième garçon), un couple assez solide pour affronter la cohabitation. (…)
La Malautière. C’est le nom utilisé par Louis Soubeyran, et pas la Grande Maison comme plus tard. Déjà simplement ce nom, je ne l’ai « compris » que progressivement. (…) j’ai découvert qu’il y avait une rue Malautière dont il tirait son origine : elle va de la place Châteauras à la place de la gare (… et) j’ai eu l’idée de chercher l’étymologie du mot qui dès le départ me paraissait avoir une connotation négative : effectivement malaut synonyme lépreux et donc malautière synonyme maladrerie. Et oui on est dans le quartier de la Pouilleuse, à la périphérie du village où les malades étaient groupés, isolés au Moyen-Âge. Mais le politiquement correct n’avait pas encore frappé et les vieux noms même péjoratifs étaient conservés. De nos jours la Pouilleuse est devenue la place Brun Larochette et plus personne ne connait le sens de Malautière… (…) La maison est accolée aux immeubles donnant sur la Pouilleuse (du 10 au 8) et n’a qu’une façade côté jardin et qu’une issue rue Malautière.
La façade est assez imposante avec au rez-de-chaussée deux portes, deux fenêtres donnant sur une terrasse, un étage avec fenêtres, un avec oculi. (… à l’intérieur) deux grands salons avec cuisine au rez-de-chaussée, deux très grandes chambres avec salle de bain au premier, cinq ou six chambres au second plus grenier, plus grande pièce dans l’aile en retour. La disposition était probablement différente au temps d’Ovide, mais de toute façon « une grande maison », sans commune mesure avec celle du 56. La Malautière représentait bien « une remontée sociale », (…).
Cet ensemble avait été constitué par Antoine « le vertueux ». « Il acheta, pièce par pièce et forma morceau par morceau la maison et le grand jardin de la Malautière », mais c’est Antoine « l’original ou le faible » qui s’y installa en 1891, puis Ovide donc en 1880. Pour Louis Soubeyran, qui y vécut 24 ans, de 1880 à 1904, c’est LA maison familiale, « notre très chère Malautière ». Elle est le cadre de la vie du couple exemplaire de ses parents et leur vie s’y écoula « calme, paisible, heureuse, toute partagée entre le travail et les joies de la famille qu’aucun orage, aucune tempête ne troubla jamais ». Et donc on peut penser que ce fut aussi le cadre d’une vie « heureuse » pour leurs enfants, leurs quatre fils, et leur fille Marguerite, née à La Malautière, remplie de fleurs par son père à cette occasion. Si la mort du petit frère Émile, et les différentes maladies sont considérées par Louis Soubeyran comme « le tribut inévitable qu’ils durent payer à la souffrance et aux angoisses, dont aucune vie humaine ne peut être complètement exemptée » La Malautière est associée pour Louis Soubeyran à un drame, celui de la maladie et de la mort de son père. C’est là qu’il cessa de souffrir « le mardi 5 janvier 1909 à 10 h du soir, après 14h d’une agonie atroce ». C’est là que ses fils le couchèrent dans son cercueil et que se tint le culte familial, avant celui au temple.
L’attachement de Louis Soubeyran pour La Malautière est certain, et pourtant, c’est sans état d’âme apparemment qu’il choisit de quitter la maison familiale, n’envisageant pas un instant de s’y installer avec sa femme, ce que fit son frère André (je ne parle pas d’Henry parti de Dieulefit et de Léopold resté célibataire). Louis Soubeyran parait tout à fait persuadé du caractère néfaste de la cohabitation de deux couples. Il le dit explicitement pour le couple explosif de ses grands-parents. Et dès l’annonce de ses fiançailles, il part joyeusement à la recherche d’une location.
Et cette location sera le Savelas. Là je vais prendre mon temps pour essayer de faire revivre le mieux possible LA maison de Louis Soubeyran. (…) Donc comme on le voit sans ses lettres à sa fiancée, Louis Soubeyran, dans ses recherches, se focalise vite sur une maison rue du Savelas. Il se rend bien compte que pour sa fiancée quittant un appartement bourgeois de la rue de la Maison Carrée à Nîmes et passant jusque-là ses vacances dieulefitoise à la Baume, cette perspective n’est pas enthousiasmante. Il argumente donc dans plusieurs lettres, admettant explicitement « l’éloignement » du quartier, et implicitement son caractère populaire ; mais il met en avant le très bon rapport qualité-prix (il est caissier-comptable à cette époque) et sa certitude qu’ils en feront un charmant « home » (sic). Il cite pour la convaincre les compliments faits par différents visiteurs (…) Il met beaucoup de dynamisme enfin à faire exécuter des travaux pour rénover l’intérieur et mettre en place l’ameublement. De toute façon, même si Louis Soubeyran dit plusieurs fois qu’il faut qu’ils prennent leur décision à deux, Henriette Chardounaud, sans dot, ne devait pas avoir une grande marge de manœuvre. D’ailleurs elle eut sans doute la délicatesse d’accepter avec grâce de s’installer durant l’été 1904 dans cette petite maison d’un quartier populaire.
C’est cette location qu’il acheta, quand je ne sais, à M. Alfred Reboul (…) restaurateur à Dieulefit. (…).
Ce Savelas de Louis et Henriette, mariés sous le régime de la communauté, je l’ai connu, moins bien que ma fratrie ou certains de mes cousins germains, mais tout de même. Mon inconscient a bien dû garder la trace des quelques mois passés seule avec Grand-Mère, pendant que le reste de la famille était déjà à Grenoble en pension avant l’installation dans l’appartement. Et puis c’était la maison des vacances (…) et même des « moments » avec Grand-mère jusqu’à sa mort en 1966.
J’emprunte encore souvent cette rue du Savelas où Maman entendait encore résonner les pas de son père , et je passe souvent devant cette façade que Louis Soubeyran a demandé à son cousin Edmond Soubeyran d’immortaliser : (…) Ce petit tableau rend bien l’ambivalence de la façade : bien modeste en elle-même, elle a tout de même une allure quelque peu bourgeoise et digne dans le contexte de la rue du Savelas. (…)
Chaque fois que je l’aperçois, cette façade, en descendant la rue du Savelas depuis le pont de Bourdeaux, je pense à la réflexion plusieurs fois faites par Maman, admirant que son père, vivant dans cette modeste maison de cette médiocre rue de ce petit village, ait pu avoir une hauteur de vue et de pensée si élevée.
Bien que ce ne soit pas exactement sur le même plan, le lecteur attentif comprendra l’autre pensée qui me vient alors à l’esprit. Il s’agit de cette réflexion de Louis Soubeyran, digne du Guépard, que j’ aime tant, « Il faisait bon s’évader des contingences matérielles immédiates pour s’élever par-dessus les murs étroits que sont trop souvent les conditions mêmes de notre existence jusqu’aux sommets où dominant les évènements et les hommes, nous pouvons embrasser d’un regard la vie des générations qui nous ont précédés et trouver auprès de ces dernières à tant de pourquoi angoissants, les solutions qui sans elle nous échapperaient. »
Laurence Rochas-Chabauty
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Passionnant
Vraiment Intéressant ! Continuez ce travail de remise en mémoire!