Histoire de la maison familiale, rue du pêcher à Montélimar

Maison Ernest Soubeyran - Champ de Mars - Montélimar - Peinture

Rédacteur Jean-Jacques Leenhardt – récit paru dans la chronique Soub 2012

Cette propriété, à l’époque hors des remparts de la ville mais aujourd’hui en centre ville, entièrement close de murs ou de cyprès, située à Montélimar au quartier du Pêcher ou du Bouquet, contenant 70 ares environ, d’un seul tènement, composé de maison de Maître, bâtiment d’exploitation, écurie, remise, hangar, jardin potager et d’agrément, bosquets, terres labourables, serre, le tout à l’arrosage et confinant du Levant le chemin du Pêcher, du Midi le Grand Champ de Mars ou de Manœuvres, du Couchant Marmillod jeune, canal d’arrosage (canal Pétier) mitoyen entre deux et Veuve Augier, même canal entre deux et du Nord Madame Veuve Broise,

a été acquise le 27 mai 1885, moyennant le prix de 40.000 Francs, par devant Me Adolphe Roux, notaire à Montélimar, de Mme Louise Barnier, sans profession, veuve non remariée de Joseph Boucherle et de Mr Léopold, Ferdinand, Joseph Boucherle, son fils majeur, né le 24/07/1862,

par Mr Ernest, Louis, Abraham Soubeyran, fondé de pouvoirs de la banque Soubeyran Frères.

Cette vente était assortie d’un acte sous seing privé stipulant que : Mr Boucherle laisserait tous les arbres, arbustes et fleurs qui sont en bordure dans la grande allée, ainsi que le Yuko qui est à son extrémité et tous les buis en bordure, les espaliers, quelques arbres qui sont dans un massif de pépinières à droite près le mur du chemin du Pêcher et les paillassons de la serre ; que les deux magnolias qui sont à l’extrémité nord de la dite grande allée seront remplacés par deux arbustes d’une autre essence et que tous les arbres à fruits en production resteraient aussi à Mr Soubeyran. Mr Boucherle conserverait pour lui les trois premières coupes de l’année courante du foin de la propriété, et qu’en échange il laisserait à Mr Soubeyran divers sujets de pépinières que ce dernier lui a désignés.

Il semblerait que la maison de Maître initiale (un carré d’environ 12m par 12 avec des pièces d’environ 25m² et 3,5m de hauteur sous plafond) ait été bâtie sans privilège d’architecte, ni de constructeur aux environs des années 1845-1850, par Joseph Boucherle ou son père Jacques, puisqu’existant sous cette forme sur une photo de 1869, prise par le photographe Lang. Elle fut agrandie par Ernest en vitrant la véranda, ajoutant la verrue arrière, visibles sur l’aquarelle de Jean Dollfus et sur le couchant deux pièces en L (chambre d’Etienne). Ernest effectua aussi divers aménagements de clôture ou de communs, dont les traces référencées, datant de 1914, subsistent.

La propriété a subi au cours du temps divers morcèlements : en 1912 (223,10m²) au profit de la Mairie pour l’agrandissement du chemin du Pêcher, en 1977 (30,77m²) sur le canal Pétier devenu inutilisé pour permettre la construction de la résidence Olivier de Serres et en 1996 (environ 3.300m²) permettant, sur la partie Nord du jardin, la construction de l’immeuble Beaumiral. Il reste actuellement une superficie d’environ 3.150m² comprenant la partie Sud du jardin et l’ensemble des bâtiments.

Après son acquisition par Ernest, la villa fut habitée jusqu’à son mariage le 25 octobre 1895 avec Hélène Boeringer, par Ernest et son frère Maurice, lui aussi à la banque Soubeyran Frères ; Maurice achetant alors la propriété du Bouton d’or sise sur le flanc Est de la colline sur laquelle sont bâtis le château et la tour de Narbonne.

Hélène et Ernest y vécurent des jours heureux (un chauffage central fut installé par l’oncle Armand Boeringer) malgré le décès de leur fille Marguerite (24 juin1898-16 décembre1899), jusqu’au décès d’Hélène, le 28 décembre 1914, dans son petit salon ou sa chambre dans laquelle on l’avait montée. Ernest déplaça alors son bureau de la chambre, non chauffée, au-dessus des WC du 2ème palier, au rez-de-chaussée, à gauche, dans la pièce au Sud.

Comme les hirondelles, Suzanne et Etienne partirent du nid pour se marier et Francine resta seule avec son père, devenu sourd, jusqu’à son mariage le 27 juin 1929. Elle racontait que, durant les soirées, tout en tricotant sur ses genoux, elle faisait d’interminables crapettes avec son père et que le lendemain de son mariage, avant de partir en voyage de noces à Venise, elle avait passé une partie de la journée à recompter l’argenterie utilisée pour le repas sous chapiteau.

A la suite du décès d’Ernest (6 janvier 1939), la propriété revint par testament à sa fille Francine. Elle fut occupée durant l’hiver 1939-1940 par la descendance de son frère Etienne, repliée depuis Sedan. Puis resta inoccupée sous la garde du jardinier Florent (et de son épouse Marie, au grand cœur mais offrant lors de nos différents passages, un infâme café, chicorée passée dans un filtre chaussette d’époque, avec trop d’eau ! ), embauché par Ernest peu de temps avant son décès, jusqu’à l’hiver 1943 où Maxime, le mari de Francine, sentant venir la Libération, pensa que sa famille serait plus en sécurité à Montélimar qu’à Marseille où ils habitaient près d’une usine à gaz et d’une raffinerie de pétroles familiale, non loin du port. Courant 1944, la propriété fut réquisitionnée par les Allemands pour en faire un hôpital militaire et la famille fut relogée dans la Villa Marly au bout du chemin du Pêcher. (Cette réquisition valut le remplacement des tables de toilettes par quelques lavabos ou urinoirs !). Un soldat allemand, décédé, fut enterré près du grand cèdre au Nord-Est dans le fond du jardin et, après la Libération, Francine eut quelques difficultés pour faire transférer le corps dans le cimetière allemand créé au Nord de la ville. Avec des jeunes, réfractaires au STO, dont René Soubeyran, un fils de Jean, il fallut vider en catastrophe la maison, transportant les meubles dans les 3 greniers de la maison, le garage et la pièce au- dessus.

Si la Libération de Montélimar ne fait pas la une des souvenirs côté français, elle est considérée par les Américains comme une des batailles les plus importantes de la libération de la France, les Allemands de la XIXéme Armée (OAK19) refluant du Sud-Ouest, ayant été bloqués par les maquis et les Américains de la 36th US DI dépendant de la 6éme Armée du général Truscott, arrivés par la vallée de la Durance puis de la Drôme. C’est ainsi qu’on voyait les obus allemands partir de la colline de Montchamp au sud de Montélimar vers la colline de Savasse au nord de Montélimar où étaient les Américains. (Indépendamment des livres qui commencent à paraître maintenant sur le sujet, il existe des récits manuscrits de Francine, Aude et Martine Soubeyran). Durant cette bataille, furent volées par les Allemands, malgré les précautions prises (voitures sans batterie et sur cales), la voiture d’Ernest, propriété d’Etienne et la 202 de Francine. René Soubeyran me racontait récemment qu’ayant trouvé dans un char américain incendié des boites de singe (corned beef), il en avait donné une à Francine, laquelle fut très appréciée, car alors on manquait de tout. Il fallut ensuite remettre la maison en état, ce qui fut facilité, le chef des FFI convoitant la Villa Marly pour y installer sa famille.

La propriété fut louée en 1946 à un épicier poujadiste, Berrang, puis en 1955 à un radiologue de l’hôpital, le Docteur Faure. Celui-ci fit, aux frais de la propriétaire, quelques aménagements : remplacement de la chaudière à charbon d’Armand Boeringer, qui ne joua plus alors que le rôle de radiateur de l’entrée, par une chaudière à mazout, installé dans la 1ère cave ; remplacement de la baignoire et du chauffe-eau à gaz de la salle de bains par un cumulus ; installation d’une office et d’une douche dans ce qui était la souillarde et la resserre à provisions et surtout ouverture de la cloison entre le bureau d’Ernest et le petit salon d’Hélène, donnant ainsi davantage de lumière à ces deux pièces. Le 23 avril 1967, Jean-Jacques et Annie, un des enfants de Francine et Maxime, s’y installèrent et en acquirent la pleine propriété en 1996, après la vente de la moitié nord du jardin par l’indivision constituée avec son frère et ses sœurs, au décès de Francine en octobre 1989.

Plusieurs campagnes de travaux purent alors être envisagées : réfection des toitures en 1997 ; mise en place de double vitrage sur les fenêtres et de radiateurs dans la pièce au-dessus de la cuisine (chambre d’Etienne) ainsi que dans les deux pièces du 2ème palier ; mise aux normes de l’installation électrique en 2003 ; remplacement de la chaudière à mazout par un ensemble pompe à chaleur – chaudière à condensation, du poulailler, inutilisé, par une prairie constituant ainsi une courette protégée, invisible de la rue, enfin transformation des communs en une salle à manger d’été fermée par des portes vitrées coulissantes en 2006 et 2007.

Ils eurent la joie de pouvoir y fêter leurs noces d’or les 18 et 19 août derniers (2012), accueillant à cette occasion, 8 jours avant la cousinade, 11 des 12 fratries descendantes d’Hélène et Etienne. Après un service de reconnaissance dans le Temple où Francine et Maxime avaient demandé la bénédiction de Dieu sur leur union et un cocktail dinatoire au Roure (belle propriété à 4km au Sud de Montélimar), un repas de 60 couverts put avoir lieu le dimanche à midi sous chapiteau dans cette courette grâce à l’aide de leurs enfants et petits enfants.

Ils sont reconnaissants du fait que cette propriété ait pu être conservée durant 125 années dans la famille au sens large. Pour le reste, ce sera au plaisir de Dieu.
Jean-Jacques Leehnardt


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