« Tout ce que je peux dire sur les maisons Soubeyran de Dieulefit »

Par Laurence Rochas-Chabauty, petite fille de Louis Soubeyran


PREMIÈRE PARTIE : LES MAISONS DE LA BRANCHE AINÉE

DIEULEFIT : Vue générale

Prologue

Avant 1918 la famille Louis Soubeyran passait déjà des étés « à la campagne », par exemple à Boutières, un hameau de Truinas, proche du berceau de la famille Vache. J’y associe l’émotion avec laquelle Louis Soubeyran évoque dans son livre le souvenir de son arrière-grand-mère maternelle, Marguerite Vache, qu’il n’a pas connue mais que sa mère vénérait, une humble paysanne huguenote « grande par le cœur et par ses vertus chrétiennes ». Dans un tout autre registre, plutôt cocasse, me revient à l’esprit le souvenir des frères Soubeyran (Robert et Pierre)* s’illustrant en mettant des pétards aux derrières des vaches de la cousine Vache…
Mais en 1918, pour la première fois la famille Louis Soubeyran passe l’été, la belle saison à la Pie Verte. Ensuite chaque année voit toute la maisonnée, vaisselle, linge, literie et piano compris, déménager des bas-fonds du Savelas jusqu’aux hauteurs de Dieulefit. Ce rituel étonnant (circa 400 mètres à vol d’oiseau) se répète pendant plus de 20 ans, jusqu’à la 2° Guerre Mondiale, jusqu’à la mort de Louis Soubeyran en avril 1943 probablement. Curieuse et touchante transhumance pour des « vacances à la campagne », coutume bien étrangère aux classes populaires ; mais en location et pas vraiment dans un « villa bourgeoise ». Un entre-deux bien caractéristique, me semble-t-il, du statut social des Louis Soubeyran.
C’est l’occasion pour moi de vouloir évoquer les maisons Soubeyran, toutes celles qui ont pu compter pour Louis Soubeyran. En fait trois cercles concentriques : les maisons de la branche aînée, celles de la branche cadette, celles de Louis Soubeyran.

* les fils de Louis Soubeyran (note Lionelsoub)

Les maisons Soubeyran de la branche aînée

Oui il me semble légitime d’évoquer les maisons Soubeyran de la branche aînée. Une petite anecdote aide à comprendre pourquoi. Dans la préface de son livre, Louis Soubeyran nous dit comment lui fut donnée en 1901 (il a 24 ans) l’idée première à l’origine de ses recherches. « Mon ami Maurice Soubeyran (Oncle d’Etienne, père des douze-note Lionelsoub) […] me rencontrant un jour dans la rue du Bourg, à Dieulefit, me remit une feuille en me disant « Tenez M. Louis voici quelques notes qui vous intéresseront, elle vous montre comment nous sommes parents. ». Et il ajoute en note, ledit Maurice « me témoigna toujours la plus grande affection et une confiance dont je lui suis encore reconnaissant en m’ouvrant toutes grandes les archives de notre famille ».

On peut tirer de nombreuses informations de cette scène prise sur le vif, toutes vont dans le même sens : il est justifié de parler des maisons de la branche aînée. D’abord on voit que dès l’âge de 24 ans, Louis Soubeyran est connu pour s’intéresser à l’histoire familiale de toutes les branches confondues, intérêt pour les personnes mais aussi pour le patrimoine. Ensuite les Soubeyran de la branche aînée sont alors toujours présents à Dieulefit. Il n’y a pas lieu de faire ici l’histoire de cette branche…mais de retenir quelques faits. Depuis Pierre Abraham IV (1745-1801) l’ascension sociale a été continue, une belle réussite qui s’est accompagnée d’une « migration » vers Montélimar, puis vers Paris. Mais cette migration s’est faite progressivement et le dénommé Auguste (1821-1903) (Grand père d’Etienne-note Lionelsoub) dont Maurice est un fils, naît et meurt à Dieulefit, même s’il dirige conjointement avec Adrien, déjà installé à Montélimar, la Banque Soubeyran. C’est à la génération des enfants d’Auguste que le départ est complet et le patrimoine vendu dans les années 1920. Pendant la majeure partie de la vie de Louis Soubeyran, il y a donc des Soubeyran et des demeures Soubeyran de la branche aînée à Dieulefit. Enfin les liens de parenté entre les deux branches sont connus, des rapports de sociabilité et même d’amitié dans certains cas existent. Sauf erreur Louis Soubeyran est même reçu chez les Soubeyran de Montélimar pendant sa période militaire.

Chaque fois que Louis Soubeyran emprunte la Grande rue ou rue du Bourg – et à partir de 1904 c’est au moins 6 fois par jour pour se rendre de la rue du Savelas aux bureaux de Morin et Cie – il passe devant la maison de ville des Soubeyran de la branche aînée, au numéro 39 actuel. La façade actuelle, bien entretenue mais dénaturée au rez-de-chaussée par 2 magasins, a encore de l’ampleur. Une large porte d’entrée avec entablement (plus 4 ouvertures), deux étages avec 5 fenêtres et un demi étage avec 5 oculi. Mais elle n’a ni les dimensions ni la décoration de l’ex Maison fraternelle, maison Morin de ville. Il y a un jardin qui va jusqu’à la colline. Louis Soubeyran connaissait-il l’agencement intérieur pour y être entré ou y avoir été invité ? Je le pense, mais moi pas…

À l’origine, c’était une maison Lautier et Abraham III, le premier Soubeyran résidant à Dieulefit s’y installe chez ses beaux-parents avec sa femme Suzanne Lautier en 1744. Ses rapports avec sa femme sont, disons, « vifs » (même quand il est dans les prisons royales de Grenoble) ce qui ne l’empêche pas d’avoir 3 enfants qui naquirent et vécurent dans cette maison y compris Antoine III le fondateur de la branche cadette. Il faut noter que les tanneries Lautier et Soubeyran étaient proches, le long du Jabron évidemment.
Cette maison resta Soubeyran jusqu’à sa vente par les enfants d’Auguste au Docteur Luigi. C’est chose faite dans les années 1920 : Louis Soubeyran dit « il y a quelques années » en 1932, et Gaby Soubeyran, 10 ans en 1927 (Fille de Louis Soubeyran, et mère de Laurence, la narratrice-note Lionelsoub) y va jouer avec les filles du Docteur Luigi

À côté de la maison de ville, il y avait la maison de campagne : celle du domaine de la Fontette. Louis Soubeyran ne l’évoque qu’à partir de Daniel Abraham V (1780-1847). Le domaine était vaste, en grande partie ceint de murs avec deux portails et une ferme sur les hauteurs des Rouvières. La maison actuelle paraît importante mais sans l’apparat des villas Morin (Villa Mary, Réjaubert). Au départ même réflexion pour l’agencement intérieur que pour le 39 rue du Bourg. Et puis bonne surprise, Sylvie m’a communiqué « L’histoire de la Fontette » par Madame Pizot, que ladite Mme Pizot avait donné à Maman (Gaby donc – note Lionelsoub) …d’où moisson d’informations que je résume. Cette maison n’a été finalement Soubeyran qu’assez peu de temps. En 1859 Joséphine Octavie Mallet épouse Auguste Soubeyran et lui apporte en dot le « pavillon » et les terres de la Fontette. Passé en héritage à Ernest Soubeyran leur fils (père d’Etienne-note Lionelsoub), elle est mise en vente dès 1912. Et en 1922 le Capitaine Pizot l’achète 50000 francs, payés en fait par son beau-père Monnier. Ce prix tient plus aux terres et à la ferme du Serre qu’à la maison, bien modeste. On l’appelle le « pavillon » ou le « mazet » cette maison des champs, elle permet aux femmes et aux enfants d’aller prendre le bon air, de jouer, de manger les fruits du verger. Y vit-on vraiment ? Au rez-de-chaussée (en partie enterré au NE) une grande pièce et deux débarras, au premier une grande et une petite chambre, au grenier trois chambres. On ne l’entretient guère en tout cas, au moment de la vente une grande fissure sur la façade lui donne l‘allure d’une « masure abandonnée », et on constate un « délabrement des eaux « puits et fontaines étant mal entretenus ».
C’est là que se trouvait et se trouve encore le cimetière Soubeyran de la branche aînée., un des quatre cimetières familiaux protestants de Dieulefit avec ceux des Bonnefoy, des Sambuc, et des Morin. Je suis allée le voir ; on ne peut plus y pénétrer et on n’aperçoit ni pierre tombale, ni inscription, tout est envahi par la végétation, une vision assez mélancolique. Ce qui m’étonne c’est que déjà à l’époque de Louis Soubeyran, il était à l’abandon alors que Daniel Abraham et sa femme y sont enterrés, ce sont les seuls que mentionne Mme Pizot (peut-être Auguste mort à Dieulefit en 1903 ?)**. Lors de la vente de la Fontette au Capitaine Pizot par Ernest Soubeyran (comme la rue du Bourg dans les années 20, en 1922 précisément), il y avait eu tout de même une clause de conservation du cimetière. Et c’est en face de ce cimetière Soubeyran de la branche aînée, abandonné, que Sylvie Chabauty, petite-fille de LS, et Pierre Buffet ont construit la Maison du Champ…

** Auguste est enterré avec son épouse et sa belle-mère au cimetierre de Dieulefit, et sa tombe vient d’être rénovée grace à une souscription des descendants de la branche ainée. Merci à ceux d’entre eux qui chaque année passent l’entretenir (note Lionelsoub)

Une question me vient à l’esprit : qu’a pensé Louis Soubeyran en voyant vendre le patrimoine de la branche aînée, en voyant partir les derniers Soubeyran descendant de Pierre Abraham III ?
A-t-il regretté de ne pouvoir acheter ces maisons Soubeyran, surtout celle de la rue du Bourg où s’était installé le premier Soubeyran dieulefitois ? A-t-il eu quelque tristesse à voir partir les enfants d’Auguste qu’il connaissait, avec lesquels il pouvait avoir des liens d’amitié comme avec Maurice (mort en 1923 à Montélimar) ? A-t-il été sensible à une certaine ironie de l’histoire familiale qui faisait disparaitre de Dieulefit les Soubeyran de la branche aînée, dont la réussite mettait « en valeur » depuis plus d’un siècle la déconfiture de la branche cadette alors même que celle-ci commençait à « remonter la pente » …

(A suivre)

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