Par Lionelsoub
Il y a juste cent ans, le 18 avril 1923 s’est tenu au 7 Place Nassau à Sedan le déjeuner de fiançailles d’Hélène Goguel et Etienne Soubeyran, que vous m’autoriserez à appeler à l’occasion « grand-papa » et « grand-maman ». Ils se marieront presque dans la foulée le 5 septembre de la même année. Quoi de plus classique, me direz-vous, dans des familles bien bourgeoises du début du 20ème siècle ?
Sauf que la réalité est bien plus romanesque. Ernest, le père d’Etienne semble avoir eu de réelles réserves quant à ce projet et avait « … révé pour lui d’un mariage plus brillant …» nous dit sa soeur Suzanne dans une lettre à son père. La même tante Suzanne m’a confirmé oralement dans les années 1980 qu’Ernest n’était pas ravi de ce mariage, qu’il les trouvait un peu jeunes. Grand-maman confirme et précise : « Il trouvait surtout que son fils s’engageait trop tôt. Il n’avait pas fini ses études. »
Dans ses lettres à son père, Etienne ménage de fait Ernest en évoquant à plusieurs reprises qu’il n’a pas encore décidé de son avenir matrimonial … mais son intéret pour « Melle G. » ne fait aucun doute. Par exemple, il évoque, le 17 janvier 1923 « … la volonté de poursuivre une idée qui pour l’instant me parait extrêmement tentante ». Il cherche également à rassurer son père sur la dot, qui semble être l’un des points de blocage et, tout en donnant des gages, il replace le débat là où il pense qu’il doit être : « Si pénible qu’il me soit d’introduire cette question pécuniaire dans une affaire qui est pour moi toute sentimentale, elle est trop sérieuse » lui dit-il dans la même lettre.
En définitive, Etienne, appuyé par sa soeur Suzanne et sa tante Henriette, finira par faire fléchir son père : c’est bien un mariage d’amour, et non de convenance, qu’Hélène et Etienne on scellé à Sedan le 5 septembre 1923.
Pour en attester, nous disposons de lettres reçues par Ernest, conservées dans le grenier de la maison familiale de Montélimar d’où Jean-Jacques Leenhard les a exhumées et m’en a fait le dépositaire quelques temps avant sa mort. Nous avons aussi la version de grand-maman que j’ai interviewée et enregistrée en 1984. Tous ces documents sont à la disposition du lecteur, sous leur forme originale et dans une version transcrite, derrière les liens que je vous indiquerai au fil du récit.
Je n’ai pas eu en ma possession les réponses d’Ernest qui nous auraient mieux éclairés sur sa position. Reste-t-il quelque part un carton non inventorié ?
Afin de ne perdre personne en route au cours de notre récit, il me parait judicieux de faire auparavant un rapide pas de coté pour présenter le contexte et les acteurs de « notre « roman d’amour »
Cette histoire n’aurait sans doute pas existé – et conséquemment la plupart d’entre nous non plus !!! – sans le mariage, le samedi 1er mars 1890 à Neuilly sur Seine, d’Adrien Soubeyran et d’Henriette Monod. Adrien et Henriette sont respectivement le frère ainé d’Ernest, père d’Etienne, et la sœur ainée de Renée, mère d’Hélène. Ils habiteront place Péreire – aujourd’hui place du Maréchal Juin – à Paris 17ème. Ainsi les futurs mariés sont tous deux neveu et nièce du couple Adrien et Henriette, lesquels nous retrouverons parfois dénommés oncle A. et tante H. dans les lettres. Adrien et Henriette auront deux enfants, plus agés d’une dizaine d’année que leur cousin Etienne: Madeleine, mariée à Marcel Chavane en 1913, et Jean qui vient d’épouser en 1922 Jeanne dite Jeannette.
Etienne Soubeyran est né à Montélimar où son père Ernest est banquier (banque Soubeyran frères, l’autre frère étant son cadet Maurice). Il y passa son enfance et son adolescence. Il perdit sa mère à 14 ans, et Ernest, en 1914, se retrouva seul pour élever son garçon et ses deux filles Suzanne et Francine. Il pouvait néanmoins compter sur des employés de maison. Au recensement de 1906, le foyer comptait, outre Ernest, son épouse Hélène et leurs trois enfants, Marie Richon, cuisinière de 44 ans, et Arma Aebi, 19 ans, « bonne d’enfants ».
En 1919, au lendemain de la première guerre mondiale, son « bachot » en poche, Etienne rejoint Paris pour intégrer l’Ecole Polytechnique. Au moment où commence notre histoire, il est toujours étudiant, à l’Ecole des Mines et en droit. Sa soeur ainée Suzanne vient d’épouser Charles Dollfus quelques mois plus tôt en juin 1922, et est enceinte de son premier enfant, Lise (future Wetzel), qui fêtera ses 100 ans le 3 septembre prochain. Suzanne et Charles vivent également à Paris, rue de Versailles. Ernest habite désormais seul à Montélimar avec sa fille cadette Francine, 18 ans, qui épousera 6 ans plus tard en 1929 Maxime Leenhardt dont elle aura 6 enfants, dont Jean-Jacques cité plus haut. Ce dernier héritera de sa mère la maison familiale de Montélimar où son épouse Annie vit toujours.
Pour mémoire, cette maison familiale de la rue du pêcher fut acquise par Ernest en 1885. Les frères Ernest et Maurice y vécurent une dizaine d’années en célibataires jusqu’au mariage d’Ernest qui y installa ensuite sa famille. L’histoire de cette maison, écrite par JJ Leenhardt, a paru dans la Chronique Soub 2012.
Pour les non initiés, la Chronique Soub permet chaque année aux descendants d’Etienne et Hélène de conserver le lien et d’échanger des nouvelles.
Hélène, elle, habite toujours Sedan où elle est née. Elle a quasiment 22 ans. Son père Frédéric (Fritz) Goguel est médecin et elle est apparentée par sa mère Renée à la famille Monod. Elle a un frère et une soeur ainés, Henry et Louise, ainsi qu’une soeur jumelle, Suzanne (Suze), à ne pas confondre avec la soeur ainée d’Etienne. C’est cette Louise qui a écrit à la fin de sa vie ses souvenirs d’adolescente jusqu’à la guerre de 1914-18, déjà parus sur ce blog sous le titre « Mémoires d’une jeune fille de bonne famille pas toujours très sage ». Je vous y renvoie pour plus de détails sur le contexte familial Goguel (Les G.).
La présentation des acteurs Goguel est bien plus succincte, car Hélène n’a eu aucune part aux « manoeuvres » antérieures au 18 février 1923. Elle nous a assuré : « je ne soupçonnais pas que quelqu’un pensait à moi ». D’autant que « Non, je ne voulais pas me marier (rire) … je me suis dit « jamais je ne serai capable d’élever un enfant, alors je ne me marie pas ! » nous a-t-elle avoué avec son sourire espiègle.
Hélène et Etienne ne se sont quasiment pas croisés enfants ou adolescents, rien en tout cas qui ne soit resté dans la mémoire de grand-maman : « Il existait, mais nous n’avions pas de raisons de le voir car il habitait loin … c’est quand il est venu faire ses études à Paris. … nous avions 20 ans tous les deux ». Ils ont alors eu l’occasion de se croiser chez Adrien et Henriette, leurs oncle et tante respectifs, et surtout chez leurs enfants, leurs cousins Jean et Jeannette, ainsi que Madeleine (née Soub) et Marcel Chavanne.
En novembre 1922, Etienne est en garnison pendant 15 jours à … Sedan 😉 et trouve à se loger, par une voie qui ne doit probablement rien au hasard… au 7 place Nassau chez la famille Goguel.
Le Dr Frédéric Goguel fit construire cette maison en 1901, année de naissance d’Hélène.
La photo ci-contre est une carte postale envoyée par Frédéric Goguel à son petit-fils Daniel Soub (n°3/12).
Mais il est temps de nous plonger dans une correspondance pleine d’émotion d’un temps révolu où l’on échangeait des nouvelles par courrier, dépêches et pneumatiques.
Deux mois après son séjour à Sedan, Etienne écrit à son père qu’il a « appris samedi par Madeleine (…) que Melle G. devait revenir à Paris chez elle au début du mois prochain (…et que) d’autre part, un jour, au cours d’une visite chez Tante Henriette où j’étais seul avec elle, j’ai acquis la quasi-certitude par quelques mots échappés à celle-ci (…), qu’elle avait quelque intention sur moi. De mon côté, je n’ai laissé, ni chez l’une ni chez l’autre, percer la moindre parcelle de ce que je pense. » rassure-t-il.
Mais il pose clairement la problématique : « si mes sentiments précédents et actuels se trouvaient confirmés, je ne serai plus arrêté dans ma décision que par l’unique question de la possibilité de vivre et faire vivre une famille dans des conditions convenables et compatibles avec nos habitudes. »
Enfin, malgré sa prudence, il avoue son anxiété quant à l’attitude à adopter devant l’incertitude où il est des sentiments de Melle G. à son égard … jusqu’à poser avec force qu’il ne se rendrait pas sans tenter sa chance : « Si elle passe comme me le faisait prévoir Madeleine, un mois environ à Paris, je vais me trouver dans la situation la plus fausse où ce (sic) soit trouvé un jeune homme . La voir, comme je l’ai vue en novembre, équivaudrait presque à une déclaration implicite ; ne pas la voir, d’une part me serait extrêmement dur, d’autre part ne me parait guère possible. Mes prétextes de travail équivaudraient à un refus, s’il y a quelque idée en train, (…), mais ces jeunes filles ne viennent pas si fréquemment à Paris sans motif et si ce n’est pour moi, ce serait pour quelqu’un d’autre – dans ce cas, pour rien au monde, je ne voudrais laisser le champ libre et jouer le rôle du Monsieur arrivant toujours et partant en retard. (…) »
Une semaine plus tard, le 24 janvier, nouvelle lettre en réponse à une lettre de son père reçue entre temps. Gardons à l’esprit qu’Ernest est veuf et doit se trouver un peu désarmé devant cette fougue amoureuse qui peut-être le déstabilise. Toujours est-il qu’Etienne repousse poliment une proposition de son père consistant semble-t-il à se renseigner auprès de son oncle Adrien et de son épouse Henriette : « Je te remercie beaucoup de ton offre dont je te suis très reconnaissant. (…) l’objection principale, je crainds (sic) que les Adrien, tante Henriette principalement, soient trop interessés à la chose pour que tu en puisses obtenir autre chose que des renseignements purement pécuniaires, ce qui est un peu insuffisant quoique très nécessaire. Aussi, après y avoir bien réfléchi, j’ai l’intention d’agir autrement, en mêlant à cette affaire une seule personne et beaucoup plus désinteressée, Jean. J’ai été très intime avec lui ces dernières années, du temps de son célibat. (…) Je suis sûr que, s’il juge que je fais une boulette, il me le dira. Certes je ne compte pas qu’il me dise quoi que soit de mauvais de sa cousine, (…). Pour moi, c’est assez naturel que je ne veuille me marier sans avoir assuré ma situation pécuniaire pour que je n’éprouve aucune honte à lui en parler ».
C’est le 02 février qu’Etienne rend compte à son père de sa démarche auprès de son cousin germain : « j’ai vu Jean dès mardi pour mes affaires. (…) Il n’a pas paru fort étonné et ne m’a pas caché qu’il s’en doutait : (…) Pour le chiffre de la dot, il m’a déclaré n’en pas savoir grand-chose (…) J’ai reçu ce soir seulement un mot de lui à ce sujet, (.)… Il m’annonce comme chiffre probable (c’est sa propre expression) 100.000, (…) Sans être considérable, évidemment, le chiffre me parait convenable et, en tous cas, suffisant pour écarter cette considération dans ma décision. Celle-ci ne dépendra donc dorénavant que du « coefficient personnel » (…) Tout cela étant, j’attendrai une nouvelle impression pour prendre une décision. »
La visite à son cousin Jean a contribué à rendre Etienne plus lucide sur le regard que porte son entourage familial sur son « coefficient personnel 🙄» concernant Melle G. Le 04 février 1923, Etienne avoue à son père avoir remarqué « la position difficile où j’allais me trouver, puisque (…) mes sentiments en novembre dernier avaient été beaucoup plus explicites que je ne l’avais cru ; la prochaine fois que je reverrais (sic) Melle G, je serais (sic) en effet examiné, surveillé…, le tout fort gênant. (…) Je suis donc allé trouver Tante Henriette et lui ai, en quelques mots, indiqué la situation, ce qui ne l’a guère surprise, je crois. J’ai insisté, d’ailleurs, sur le fait que je n’étais nullement décidé 😉 (…) ». Et il conclut : « Il est entendu que, jusqu’à nouvel ordre, les Chavannes (sic) resteront en dehors de la question ». Pourquoi ???
Le même jour, Henriette répond à la demande d’Etienne et présente sa nièce à son beau-frère sans lui cacher tout le bien qu’elle pense de ce projet de mariage : « Tu sais combien j’aime tes enfants et combien je voudrais pouvoir remplacer un peu leur chère maman que j’aimais tant. (…) Je ne suis pour rien dans son choix (…) mais je l’approuve de tout mon cœur et je comprends son attirance pour notre chère petite nièce qui j’en suis sûre te plairait beaucoup. »
Suit un panégyrique impressionnant. Attention, certains passages pourraient choquer des oreilles féministe ! Prenons cela comme un témoignage d’un temps révolu :
« C’est une exquise créature, qu’on ne peut d’ailleurs apprécier qu’en la connaissant, car elle est timide et réservée et n’a rien de ces jeunes filles flirts et fin de siècle de nos jours. Elle est admirablement élevée. Elle, et ses sœurs d’ailleurs savent tout faire. Ce sont des maîtresses femmes qui seront des trésors pour leurs maris. Elles font elles-mêmes toutes leurs affaires, ce qui est précieux de nos jours et s’il y a crise domestique, elles ne sont pas embarrassées pour si peu et font elles-mêmes le ménage et la cuisine si besoin est. Elles en ont vu d’autres pendant les 4 ans d’occupation boche …
… Hélène est notre préférée à tous, (…). Hélène a un caractère idéal, toujours égal, gaie et entrain, je ne lui ai jamais entendu dire du mal de personne, c’est la bonté même, elle se croit née pour faire le bonheur de ceux qui l’entourent et ne pense jamais à elle. Elle est extrêmement douce et caressante ; je ne peux la comparer qu’à ton Hélène à toi, qui savait si bien faire le bonheur des autres et s’oublier elle-même. Tu aurais en elle l’idéal des belles-filles et Etienne une femme exquise ».
Elle confirme que le séjour à Sedan en novembre, il y a moins de trois mois, a été déterminant : « si Etienne n’avait pas été en garnison à Sedan, il n’aurait jamais eu occasion de faire si bonne connaissance avec notre chère petite nièce (…) »
Courageuse mais pas téméraire, Henriette ne s’engage pas trop sur la dimension financière : « Je ne puis te renseigner sur la question pécuniaire. Les G. sont sûrement dans une jolie situation ; mais je ne serais pas étonnée qu’ils soient dans les idées alsaciennes (le père de Fritz était alsacien) et que la dot ne soit pas en rapport absolu avec la fortune qu’ils auront un jour. » Voilà qui est cash !
Puis c’est la douche froide.
Une lettre est arrivée de Montélimar, dont nous ne connaissons pas la teneur, mais dont nous pouvons imaginer le ton. Suzanne va plaider la cause de son frère auprès de leur père.
Le 9 février, Suzanne écrit en effet à son père :
« Mon cher Papa, (…) ce matin Etienne m’est arrivé à la première heure, tellement bouleversé par la lettre qu’il a reçu de toi, que je crois bien faire en venant te parler de lui. (…) nous lui avons fait valoir toutes les objections que tu lui a (sic) fait valoir toi-même et, s’il avait du (sic) être découragé de ses intentions, il l’aurait certainement été. »
Puis Suzanne argumente en faveur de son frère : « Maintenant nous sentons (…) que son projet n’est pas un projet en l’air mais qu’il a été vraiment attiré par cette petite Hélène Goguel que je connais mal, vu son caractère timide, mais dont j’ai entendu dire le plus grand bien, (…) et, d’autre part, il ne semble pas que les Goguel soient au courant de l’idée d’Etienne. (…) Il est indubitable que tout vient d’Etienne seul »
Ensuite elle le rassure sur le respect de son autorité paternelle : « En rentrant chez lui, désirant beaucoup la revoir tranquillement, il t’a écrit, te demandant tout simplement ton assentiment, ne voulant pas aller plus loin avant de l’avoir obtenu. Il n’a pas fait partir sa lettre, ayant reçu la tienne, et ce matin il était desespéré, se demandant si tu le comprends bien alors qu’il a tj (sic) cherché à agir pour le mieux. (…) Pour lui, il est décidé et ne demande plus qu’une chose, ton approbation : il m’a parlé très sérieusement ce matin, me disant qu’il ne voulait pour rien au monde te mécontenter, (…)et que si vraiment tu y tiens il renoncera à son projet mais sera désolé. (…). Il est certain qu’il aime cette jeune fille et qu’elle parait digne de lui. »
Dans les jours qui suivent, Ernest s’est laissé convaincre et le 18 février 1923, vers 10h30 du matin, Hélène et Etienne vont se fiancer en présence des parents Goguel mais en l’absence d’Ernest.
« cela n’a pas beaucoup trainé » nous dit Etienne.
Ecoutons comment Etienne, Hélène, Suzanne puis Henriette racontent cet évènement, chacun de sa place singulière.
L’après-midi même, après lui avoir annoncé la nouvelle par une dépêche, Etienne écrit à son père : « (…) Les choses se sont précipitées de manière tout à fait inattendue pour moi, mais combien délicieuse. (…) Nous voilà fiancés depuis quelques heures (…) Je t’écris à coté d’elle dans le petit salon de tante Henriette (…) Je pense beaucoup à vous deux aujourd’hui, et aussi à maman qui aurait été bien heureuse aujourd’hui de faire connaissance avec cette nouvelle fille qu’elle aurait, j’en suis sur, beaucoup aimée«
Le lendemain 19 février, Etienne est toujours sur un petit nuage quand il écrit à son père dès 7h30 afin de poster sa lettre en se rendant à l’Ecole des Mines. Il se veut plus précis que la veille : « je ne veux pas attendre plus longtemps pour te répéter mon bonheur, (…) Quand vers 10 h ½ je suis arrivé chez tante Henriette, je ne me doutais pas un instant qu’un quart d’heure à peine plus tard, je serai fiancé (…) Ca été le « oui » immédiat, de sorte que quand un instant plus tard, nous sommes restés seuls, cela n’a pas beaucoup trainé.»
Il organise déjà la suite comme si l’accord de son père n’était qu’une formalité : « Aussitôt que nous aurons reçu ta réponse et qu’ainsi les fiançailles deviendront officielles, (…) Nous avons vu hier soir les Jean et les Chavanne qui n’étaient pas prévenus de la présence de leurs oncle et tante à Paris. Aussi leur stupéfaction, celle de Jeannette surtout, qui est toujours très nature, a été bien amusante. (…)»
« (…)Nous nous sommes fiancés en février, le 18 février. Mais je ne soupçonnais pas que quelqu’un pensait à moi. (…). Tante Henriette (m’) avait convoqués place Pereire sous pretexte de voir le trousseau de naissance de René Soubeyran. Tante Jeannette était sur le point d’accoucher. (…) Alors j’y suis allée, et qd je suis arrivée j’ai vu là papa et maman. et on me dit : il y a là un jeune homme qui demande ta main. Est-ce que tu sais qui c’est ?
Q : et tu savais ?
R : Oh, j’avais une vague idée, mais non, je ne savais pas ce que …. »(…) je ne soupçonnais pas que quelqu’un pensait à moi.
Q : Et lui, il était dans la pièce à coté ?
R : il était dans le bureau, marchant de long en large
Q : Et il a attendu combien de temps ?
R : Cinq minutes ! (rire) ça a été très, très, très vite. Il est resté comme deux ronds de flan ; il ne m’en avait jamais parlé … et j’ai dit Oui ! »
Le même jour, Suzanne confirme « hier à 9 heures un pneu, (le SMS de l’époque) lui (à Etienne) a appris que les parents (Goguel) arrivaient ce matin … il est allé les voir chez tante Henriette .. et la jeune fille ayant dit à ses parents que depuis 3 mois elle ne pensait qu’à cela ils se sont vus et fiancés immédiatement. (…) Voilà ce qu’Etienne m’a téléphoné à midi et je t’assure que j’en suis encore toute surprise, comme tu le seras sans doute en recevant la dépêche. »
Celle qui fut la facilitatrice, voire l’instigatrice de ces fiançailles écrit le lendemain à son beau-frère, supposant que « tu ne seras pas fâché que je te donnes quelques détails (…). C’est bien dommage que tu n’aies pas été là hier, tout s’est déroulé avec une telle rapidité que nous en étions tous ahuris (…) Fritz ayant pu se libérer, ils (les parents Goguel) arrivaient à minuit. Dare-dare, j’ai été préparer la chambre. Ils n’avaient pas prévenu leurs filles (…) aussi, hier matin j’allais les chercher sous prétexte de les emmener à l’Eglise. A peine elles étaient là qu’Etienne (…) s’amenait dare-dare pour connaitre le résultat. Nous l’avons caché dans le cabinet d’Adrien. Ça n’a pas été pour longtemps. (…) Hélène a naturellement été saisie de voir ses parents, et encore plus quand ils lui ont dit qu’elle était la cause de leur arrivée et qu’un jeune homme pensait à elle. Elle a d’abord dit qu’elle ne savait pas de qui on voulait parler (…) « Est-ce que c’est Etienne ? J’y pensais comme un beau rêve mais je ne croyais pas qu’il pensais à moi et je m’efforçais de ne pas y songer. » J’ai été alors chercher Etienne. Nous les avons laissés seuls. 1/2h après, ils sont revenus fiancés. (…) à 11h20, Etienne courait au télégraphe pour t’avertir avant midi, et à 12h1/2, nous buvions à la santé des deux petits amoureux et de tous les chers absents (…)«
Puis tout s’est classiquement poursuivi et Ernest Soubeyran, le père du fiancé, a écrit à Frédéric Goguel, l’autre père qui lui répond par lettre du 22 février 2023.
La voici intégralement transcrite ci-dessous :
Lettre de Frédéric GOGUEL à Ernest SOUBEYRAN
Transcription Lionelsoub
Sedan le 22 février 1923
PLACE NASSAU
Cher Monsieur
J’ai été très sensible à l’aimable et affectueuse lettre que vous avez bien voulu m’adresser et dont je vous remercie bien vivement. Ce fut, pour ma femme et pour moi, un heureux étonnement d’apprendre que votre fils pensait depuis longtemps déjà à notre Hélène et lorsque celle-ci nous eut dit que de son coté elle avait une grande sympathie pour votre fils, c’est avec une grande joie et une absolue confiance que nous avons donné notre Hélène à Etienne.
Dans le court séjour qu’il a fait à Sedan, et pendant lequel nous avons été si heureux de le recevoir, nous avions bien apprécié à sa juste valeur toutes ses qualités de coeur et d’esprit et il avait vite compris notre amitié mais pas un moment il n’avait laissé voir à personne d’entre nous que le choix de sa garnison avait eu un but précis à ses yeux. C’est ce qui explique notre étonnement lorsque nous avons reçu la lettre d’Henriette nous faisant part de l’espoir que, avec votre autorisation, votre fils souhaitait voir se réaliser.
Connaissant votre fils et ma fille, je suis certain qu’ils seront heureux l’un par l’autre et que vous et nous auront la très grande joie d’assister au bonheur de nos enfants.
Ce n’est pas à moi à vous dire les qualités de ma fille mais je puis vous affirmer qu’elle a toujours été pour nous une fille très affectueuse et très aimante. Ses qualités et ses goûts simples les (mot non déchiffré) un très sûr garant de son bonheur et de celui à qui, avec un grand élan, elle a confié sa vie. Quant à Etienne, l’amitié que nous avions (mot non déchiffré) s’est vite transformée en une grande affection et nous nous réjouissons de pouvoir bientôt le considérer comme notre fils. En tous cas la vie leur sourit actuellement et si au début ils ont quelques mois difficiles, vous pouvez être certain que nous les aiderons à surmonter les premières difficultés et plus tard, quand Etienne aura terminé ses études, ils pourront tous deux avec une grande confiance envisager l’avenir.
En prenant la détermination que nous avons prise, nous n’avons certes pas pensé à nous car ce ne sera certainement pas sans un gros serrement de coeur que nous verrons notre Hélène quitter la place si grande qu’elle occupait à notre foyer ; ce sera aussi un chagrin pour ses deux soeurs et en particulier pour sa jumelle avec laquelle, jusqu’à présent, elle a eu une intimité de tous les instants. Mais pour elles comme pour nous notre tristesse sera atténuée par la vue du bonheur d’Etienne et d’Hélène.
J’espère, cher Monsieur, que vous puissiez bientôt venir faire la connaissance de notre fille et nous-mêmes de vous (réuni ?). En attendant ce moment, ma femme me charge de tous ses meilleurs messages (mot non déchiffré ) auquels je suis heureux de joindre l’expression de mes bien affectueux sentiments.
Signé Dr Frédéric Goguel
Et bien entendu, Hélène écrit elle aussi à son futur beau-père
Le mariage eut lieu le 5 septembre 1923 à Sedan et … porta rapidement ses fruits puisque Robert est né dix mois et demi plus tard le 18 juillet 1924.
Ici avec les parents d’Hélène, Renée Monod et Frédéric Goguel
S’ensuivit un voyage de noces en Italie. Ernest, en visite chez sa fille Suzanne et Charles Dollfus, a reçu cette carte :
Laissons grand-maman conclure :
« Q : alors vous avez vécu comment au départ ? il fallait bien que vous ayez de l’argent !
R : Nous avons été aidés par mes parents et mon beau-père ; ils savaient que nous n’avions rien. Ça a duré un an. Après cela, il (Etienne) a eu une situation tout de suite. Et puis les « Bacot » (famille de la grand-mère maternelle d’Hélène) nous ont prêté un appartement à Paris »
Il y eut beaucoup de pérégrination et de logements où habita la tribu Soub en expansion jusqu’à la location puis l’achat de la Maison d’Auteuil, Villa Montmorency.
C’est une autre histoire que je vous conterai peut-être un jour…
Lionelsoub